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LE FEMINISME

 

             Frida Kahlo est une artiste mexicaine qui a pendant longtemps été étudiée sous l’angle de sa relation avec son mari Diego Rivera. Cependant, cette vision de l’artiste à travers sa vie personnelle peut nous empêcher de voir l’importance des questions qu’elle aborde dans sa peinture. En effet, Frida Kahlo se base sur son expérience personnelle afin d’aborder des sujets comme la fausse-couche alors même qu’elle évolue dans un contexte historique qui ne favorise pas l’expression de ces problématiques. Il est donc intéressant d’étudier en quoi les œuvres de Frida Kahlo peuvent-elles considérées comme féministes. Pour ce faire nous nous baserons sur les études de Julie Crenn, une docteure en histoire de l’art qui a rédigé son master sur Frida Kahlo. En effet, elle a rédigé de nombreux articles qui s’intéressent à différents tableaux de l’artiste qu’elle analyse avec une perspective féministe.

             Dans un premier temps, Julie Crenn évoque dans Frida Kahlo, un art de l’identité : la Gran Ocultadora l’idée selon laquelle l’artiste traite de sujets encore tabous pour son époque tels que « l’accouchement, la fausse couche, la violence conjugale, l’automutilation, la solitude des femmes et la douleur intérieure. » Cette première analyse du travail de Frida Kahlo va ainsi nous permettre d’en interroger les différents thèmes. D’abord à travers le tableau Henry Ford Hospital, peint en 1932. Cette dernière constitue un premier exemple utilisé par Julie Crenn pour montrer comment Frida Kahlo utilise sa vie personnelle pour illustrer des évènements propres à l’intimité des femmes dont personne ne parle. Cette démarche l’inscrit donc dans une première forme de conscience féministe. En effet, elle évoque dans cette peinture la fausse couche qu’elle a eu quelques jours plus tôt. On peut d’ailleurs observer son fœtus au-dessus d’elle, au centre. Ce dernier est relié à elle par un fil rouge qui part du nombril de l’artiste allongée sur le lit. Ce fil n’est pas sans rappelé le cordon ombilical qui unit l’enfant à sa mère. De la même manière, elle utilise d’autres éléments symboliques permettant de mettre en avant sa douleur d’avoir perdu son enfant. On retrouve par exemple un escargot (en haut, à droite) représentant la lenteur de sa fausse couche ou une machine (en bas, à gauche) qui représente le froideur du personnel qui l’accueille à l’hôpital alors même qu’elle vit une épreuve très difficile et qu’elle aurait besoin d’un soutien psychologique. De plus, Julie Glenn considère que l’artiste se représente flottant dans les airs parce qu’elle n’a pas su trouver sa place, en donnant naissance à un enfant, dans une société qui exige des femmes qu’elles remplissent leur rôle de mère : « C'est ce qu'a peint Kahlo dans Henry Ford Hospital dans laquelle le spectateur voit son corps flotter dans les airs, n'ayant pas trouvé sa place dans une société aux codes trop stricts et oppressants envers les femmes. »

 

             Dans un deuxième article intitulé Frida Kahlo, la chair ouvert, Julie Glenn nous donne une analyse d’un autre tableau de Frida Kahlo : La Mascara. Ce tableau fait référence selon Julie Glenn à la figure mythologique et culturelle mexicaine de la Malinche, cette femme considérée comme la « première traitresse » du peuple mexicain et la « mère originelle » de ce dernier. En effet, le masque que Frida Kahlo tient dans sa main droite serait celui de la Malinche utilisé pendant la Fête des Morts : « il s'agit du masque populaire de la Malinche, traditionnellement porté le jour d’El Dia de los Muertos (« le jour de la Fête des Morts ») au Mexique. ». Selon l’analyse de Julie Crenn, le fait que Frida Kahlo se cache derrière le masque de la Malinche serait une manière de révéler ses sentiments aux spectateurs. En effet, Frida pourrait se voir comme un traîtresse parce qu’elle a « bafoué sa condition de femme en échouant à être mère. » Elle ajoute d’ailleurs, en se basant sur une analyse de Margaret Lindauer dans Devouring Frida, que Frida Kahlo ne voulait pas vraiment être mère, que son désir était seulement de « se conformer aux codes moraux et sociaux » de la société mexicaine. Ainsi, Frida Kahlo présenterait dans ce tableau une critique indirecte de la société mexicaine qui la pousse à se sentir comme une traîtresse, incapable de remplir le rôle que la société attend d’elle.

              Dans un troisième article intitulé Ahora que estas pelona. Frida Kahlo : l’Ambigüité de genre, Julie Crenn s’intéresse à l’ Autoportrait au cheveux coupés peint par Frida Kahlo en 1940. En effet, pour l’auteur, le fait que Frida Kahlo se représente dans l’habit d’un homme avec les cheveux courts, jetant ainsi un doute sur son identité de genre, serait une manière pour l’artiste de chercher à s’émanciper des stéréotypes de genres auxquels elle doit faire face en tant que femme. Mais ce serait également une manière d’affirmer son indépendance face « aux conventions culturelles de l’époque ». Pour elle, cette rupture serait d’ailleurs symbolisée par la paire de ciseaux que l’artiste tient dans sa main droite. Ainsi, Frida Kahlo présente dans ce tableau un véritable désir d’émancipation face à la société patriarcale qui dicte aux femmes la façon dont elles doivent s’habiller, se comporter…

              Finalement, Frida Kahlo est véritablement une artiste féministe qui cherche, à travers son art, à s’émanciper du patriarcat et de son influence. Bien qu’elle ne se définissent pas comme telle, elle apporte une vision véritablement révolutionnaire de la position des femmes dans la société mexicaine. En effet, en abordant des sujets encore tabous ou en jouant sur son ambigüité de genre, Frida Kahlo nous fait partager des idées qui seront, plus tard, interrogées par les féministes. Bien qu’elle se contente d’exprimer ses sentiments, et qu’elle n’ait pas l’intention de porter un message universel, son art étant l’expression la plus stricte de ses sentiments, son désir de s’exprimer permet aux spectateurs de ses œuvres de réellement s’identifier à ses propos.

 

Références :

 - CRENN JULIE, Ahora que Estas Pelona. Frida Kahlo : l’Ambigüité du genre, in « Clio. Femmes, Genre, Histoire » [En ligne], 2012, mis en ligne le 31 décembre 2014, consulté le 09 avril 2017. URL : http://clio.revues.org.ezproxy.univ-paris1.fr/10836 ; DOI : 10.4000/clio.10836

 - CRENN JULIE, Frida Kahlo, la chair ouverte, in « Genre & Histoire », [En ligne], Printemps 2008, mis en ligne le 13 juillet 2008, consulté le 09 avril 2017. URL : http://genrehistoire.revues.org/237

 - CRENN JULIE, Frida Kahlo, un art de l’identité : La Gran Ocultadora, in « Genre & Histoire », [En ligne], Printemps 2008, mis en ligne le 16 juin 2008, consulté le 09 avril 2017. URL : http://genrehistoire.revues.org/275  

 - LINDAUER MARGARET, Devouring Frida, in « Wesleyan University Press », Hanover, 1999, p. 26-27. : « Kahlo est considérée comme un traître qui fait passer impétueusement ses caprices personnels avant sa responsabilité sociale. Peu importe à quel point elle pouvait désirer un enfant, ses actions ont saboté la directive sociale postrévolutionnaire »

Henry Ford Hospital, Frida Kahlo, 1932, Huile sur métal, 32.5 cm x 40.2 cm, Musée Dolores Olmedo, Mexique

La Mascara, Frida Kahlo, 1945, Huile sur bois, 30.5 cm x 40 cm, Musée Dolores Olmedo, Mexique

Autoportrait aux cheveux coupés, Frida Kahlo, 1940, Peinture à l'huile, 28 cm x 40 cm, Museum of Modern Art (MoMA), New York

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